L’éducation de ses enfants ou de ses élèves passe par l’apprentissage du « vivre ensemble » et du respect d’autrui. Ce qui suppose d’être bienveillant à leur égard. Mais comment s’y prendre ?

Eduquer avec bienveillance,

par Béatrice Kammerer, juin 2017, Sciences Humaines

Depuis les années 2000, une nouvelle posture éducative se développe, au point de s’affirmer aujourd’hui comme un nouvel idéal, propre à relever les défis du 21e siècle. Plébiscitée tant par les parents que par les professionnels et les institutions, ses appellations varient : éducation bienveillante, non violente, parentalité positive. À ce titre, elle regroupe un ensemble hétérogène de pratiques et de valeurs d’une éducation centrée sur le bien-être de ses membres. Pour l’heure, force est de constater que cette posture ne fait pas encore l’objet d’études universitaires. Elle apparaît plutôt comme une dynamique de terrain qui aspirerait à l’institutionnalisation.

Une filiation idéologique complexe

Les références théoriques ne manquent pourtant pas, qui puisent dans des cadres conceptuels différents.

Le concept de « bienveillance » est par exemple profondément marqué par les théories du care, développées au début des années 1980 par la psychologue et philosophe américaine Carol Gilligan (1). Selon ces théories, prendre soin les uns des autres, dans l’écoute et le respect, serait une activité caractéristique de l’espèce humaine (particulièrement féminine), confrontée à la nécessité de prendre en charge les individus vulnérables et dépendants comme les petits, les vieux, les malades. La bienveillance éducative répondrait alors à la vulnérabilité constitutive de l’enfant.

Par ailleurs, l’idée d’une parentalité ou d’une éducation « positive » est une référence directe au courant de la « psychologie positive », né aux Etats-Unis en 1998 sous l’impulsion du chercheur en psychologie Martin Seligman. Dans un discours resté célèbre  (2), M. Seligman pose les bases de ce qui lui semble devoir être la psychologie du 21e siècle : non plus confinée à l’étude des troubles et pathologies mais à ce qui rend les humains heureux, créatifs. Appliqué à l’éducation, ce principe invite à se détourner de la seule réprobation des transgressions pour aider l’enfant à exprimer sa créativité jusque dans l’espace contraint des règles des adultes.

La bienveillance éducative trouve enfin une inspiration dans les techniques de communication « non-violente » développées notamment par le psychologue Marshall Rosenberg à partir des années 1960 (3). Inspirée à la fois de Gandhi et du concept « d’écoute active » du psychologue américain Carl Rogers, la communication non-violente entend éviter de se servir des mots comme des armes, comme c’est souvent le cas pour manifester ses désaccords et désapprobations. La communication non-violente invite à se départir des jugements négatifs et sollicite plutôt l’empathie.

L’éducation bienveillante aujourd’hui en France

Quoi qu’il en soit, il semble qu’au moins dans la sphère parentale, l’éducation bienveillante soit davantage connue par le biais de ses figures médiatiques que par ses référents théoriques. En quelques années, une nouvelle génération de praticiens est parvenue à s’imposer comme les défenseurs de la cause. Chacun d’entre eux multiplie livres, magazines, conférences, vidéos, ateliers, formations au coaching parental, comme autant de moyens de sensibiliser les parents et de les aider à s’approprier les pratiques. Au cœur de ces discours militants, l’objectif de construction d’une société du bien-être se voit éclipsé par le pragmatisme des préoccupations parentales : comment obtenir d’un enfant qu’il respecte les règles ? Comment gérer les crises de colère et d’opposition ?

C’est précisément ce genre de questions qui sert de titre aux livres de la psychologue française Isabelle Filliozat. Son propos est centré sur la gestion des manifestations émotionnelles des enfants, qu’elle invite à considérer avec indulgence comme autant d’expressions de l’immaturité de leur cerveau (4). Parmi les figures de proue de l’éducation bienveillante vient ensuite Catherine Gueguen, pédiatre connue pour son engagement militant contre les violences éducatives. Son propos se démarque par sa volonté de vulgariser les découvertes en neurosciences, qu’elle considère comme propres à légitimer scientifiquement l’éducation bienveillante (5). On peut encore citer Catherine Dumonteil-Kremer, fondatrice du premier magazine français entièrement dédié à la parentalité positive, dont le discours s’ancre plus profondément du côté des alternatives pédagogiques (6).

D’autres auteurs non francophones font aussi références auprès des parents. Parmi eux, le psychologue Thomas Gordon, prônant une gestion gagnant-gagnant des conflits entre parents et enfants ; les américaines Adele Faber et Elaine Mazlish, auteures du best-seller Parents épanouis, enfants épanouis (2014) ; ou encore le professeur de psychiatrie américain Daniel J. Siegel, qui propose une intervention éducative qui serait en accord avec les études en neurosciences.

En France, l’éducation bienveillante semble aujourd’hui en passe de se démocratiser. On en veut pour preuve la tenue d’ateliers de parentalité bienveillante, proposés gratuitement dans les locaux de certaines caisses d’allocations familiales, l’inscription dans le « livret des parents » de certaines valeurs telles que l’écoute de l’enfant, le rejet des punitions basées sur la force ou l’humiliation. La tentative d’interdire les violences éducatives, votée courant 2016 par le biais de la loi Égalité et citoyenneté, bien qu’invalidée par le Conseil constitutionnel (pour raison de forme), relève de la même inspiration.

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